Espirito Santo : CAS PARTICULIER D’UN CAS GÉNÉRAL, par François Leclerc

Billet invité.

Ce n’est pas sans mal que le sauvetage de la BES continue d’être mené sous la férule de la Banque du Portugal, la bourse de Lisbonne ayant chuté de 16% en deux semaines, entrainée à la baisse par les valeurs bancaires, notamment celles de la BCP. Celle-ci avait auparavant essayé en pure perte de calmer le jeu en procédant à une levée réussie de capitaux lui permettant de partiellement rembourser l’État de son aide.

D’autres grandes entreprises portugaises ont également souffert, notamment Mota-Engil dans le BTP, et Texeira Duarte, issue du même secteur et depuis diversifiée. Mais la palme est revenue à Portugal Telecom, qui a vu sa valeur boursière chuter de plus de 48% depuis la fin juin, en raison d’un prêt de près d’un milliards d’euros à Rioforte (groupe Espirito Santo) qui n’a pas été remboursé à l’échéance. Son président a depuis démissionné.

Ricardo Salgado, l’ancien président de la Banque Espirito Santo (BES) et patron historique du groupe éponyme, est menacé de poursuites judiciaires après avoir été arrêté, placé en garde à vue, puis libéré contre versement d’une caution de trois millions d’euros. Cela suffira-t-il à disculper la Banque du Portugal et la CMCV – l’autorité des marchés – (qui se renvoient la responsabilité de n’avoir rien vu venir), des investisseurs s’apprêtant à attaquer en justice pour avoir autorisé sans l’ombre d’une réserve une augmentation de capital de la BES de plus d’un milliard d’euros en juin dernier ? Ils ont souscrit et ont depuis tout perdu… Le climat risque d’être également alourdi par les informations de la presse qui révèlent que la Banque du Portugal était pour une entrée direct de l’État au capital de Banco Novo, et que le premier ministre s’y est opposé pour ne pas avoir à faire volte-face. Le montage retenu tente de brouiller les pistes, mais convaincra-t-il les Portugais que l’État n’est pas malgré les affirmations gouvernementales financièrement impliqué dans le sauvetage de la BES (alors qu’il l’est) ? Rien n’est moins sûr.

Lundi matin, les cours de la bourse vont être attentivement suivis à son ouverture, afin d’enregistrer si elle continue ou non à se reprendre et à progressivement regagner le terrain perdu. La partie n’est pas encore gagnée. Le Parti socialiste – occupé par les primaires opposant son secrétaire général au Maire de Lisbonne dans le cadre de la préparation des législatives de 2015 – n’a pas fait spécialement preuve de virulence dans ses critiques du gouvernement, qui a navigué au plus près. Il n’a surtout pas livré ce qu’il aurait fait s’il avait été au pouvoir, comme il pourrait prochainement l’être. Ce nouvel épisode de la crise traversée par le Portugal va laisser à nouveau des traces profondes dans l’opinion publique.

Continuant à durement subir les foudres des exigences de la Troïka, les Portugais ne tirent pas fierté d’avoir vu l’un de leurs compatriotes, José Manuel Durao Barroso, présider la Commission durant deux mandats successifs, et un autre devenir le numéro 2 de la BCE. Vitor Constancio était en effet le gouverneur de la Banque du Portugal lors du très grand scandale politico-financier de la banque BPN resté dans toutes les mémoires, dénoncé pour avoir couvert les turpitudes de ses dirigeants qui ont éclaboussé jusqu’au Président de la République, Anibal Cavaco Silva. C’est peu dire que les Portugais ne se font en général guère d’illusions sur leurs dirigeants politiques et sur la corruption régnante. Fait exception le maire socialiste de Lisbonne, Antonio Costa, dont il est beaucoup attendu dans le désastre ambiant, à condition qu’il emporte la primaire et que le PS devance lors des législatives le PSD et le CDS, les partis de la coalition de centre-droit actuellement au pouvoir. Que peut-il être espéré d’autre ?

Tous les ingrédients d’une crise européenne aux dimensions tout à la fois financière, économique, sociale et politique se retrouvent donc sans surprise au Portugal. En attendant qu’un énième sauvetage de la Grèce fasse l’actualité et que l’Italie, qui vient d’entrer à nouveau en récession, crève le plafond du seuil de 3% du déficit budgétaire, que la miraculeuse croissance espagnole s’essouffle faute d’un point d’appui, et que la France entame les négociations pour obtenir un troisième délai afin que son déficit budgétaire passe sous cette barre fatidique des 3%…

Selon Mario Draghi, le président de la BCE, « la dynamique de croissance a ralenti » dans la zone euro ; cela avant toute mesure de l’impact des restrictions économiques et financières réciproques qui ont été prises entre la Russie et l’Union européenne. Lentement mais inexorablement, le piège armé par les gouvernements continue de se refermer sur eux-mêmes.